324 07 août 2019, à l’heure où j’vous écris, il est 21h30, l’orage gronde sur la campagne lorraine, on est à quelques jours de la reprise du championnat chez les cigognes, et je viens de terminer une discussion d’un peu plus d’une heure avec Raf… D’ailleurs à chaque fois qu’on s’appelle ça dure rarement moins d’une heure. Que ce soit pour la musique et le partenariat qu’on a commencé récemment à distance, ou l’évocation d’un passé commun en tribune, il nous est difficile de raccrocher, tant nous avons à partager. C’est dingue comme la nostalgie d’une époque, d’un mouvement, d’un groupe… d’une famille, peut raviver des émotions et inviter à la réflexion. Craquage « côté autoroute » Quelques jours plus tôt, par mail : Raf : Hey Gérald, je suis en retard, crois m’en désolé. Je me suis d’ailleurs fait souffler dans les bronches par des anciens. Seb m’a précisé que lors de notre (premier) départ en seconde (dont je parlais dans l’épisode précédent) nous étions 28 et pas 37. Ninou m’a fait savoir que la suite de la « croisade orange » se faisait attendre… Ces deux premiers opus m’ont aussi permis de reprendre contact avec Mike. Comme à l’époque, ce partage nous rassemble au-delà des villes, des pays et du temps qui passe. Pour rappel, les épisodes 1 et 2 sont disponibles ici : https://letsgometz.com/le-soleil-se-leve-a-lest-episode-1-la-prehistoire/ https://letsgometz.com/le-soleil-se-leve-a-lest-episode-2-laube-de-la-section-graoully/ Bon pour les brèves, je viens de déménager, suis encore dans les cartons (et tout aussi en retard pour les paroles que je t’ai promises pour ton morceau « picking »). Qui plus est, il est délicat de se souvenir de tout, et de manière parfaitement chronologique. Une telle présentation serait quoi qu’il en soit inadéquat s’agissant d’aborder ce troisième épisode. La Graoullymania est une maladie contagieuse qui propage le kaos partout où ses dépositaires se regroupent. Montage carte postale de l’époque J’évoquais le territoire que se doit d’avoir un groupe ultra. Pour nous il était là où nous étions : tribunes seconde, première, stades de France ou d’Europe, sur la route, dans les bars, les raves, les salles de concert,…. Mais revenons à fin septembre 1992 (saison 92/93) … Retour en première 1992-93 L’ambiance en première est largement retombée : depuis notre départ, le kop a perdu sa voix. La majorité de ses membres nous demande instamment de revenir. Tout le monde trouve finalement un intérêt à ce regroupement : le kop, pour stopper l’hémorragie, et la SG laquelle peut alors rejoindre, ce qui reste tout de même « à cette époque », la tribune historique où se retrouvent ceux qui chantent. La seconde génération prend ses responsabilités, les fondateurs restent présents et actifs, le groupe peut donc grandir. Carte membre 1994 La tache orange repositionnée en bas du kop, bâche sur le balcon. Nous allons rapidement prendre l’ascendant : chants et tifos vont progressivement gagner en qualité, nous séduisons, sans vraiment le vouloir. Nous réalisons (enfin) par ailleurs du matériel original et de bonne facture. Il faut bien comprendre, que nous étions déjà une famille et que nous nous foutions royalement de l’image que nous pouvions renvoyer. Mais cette expansion, manifestée par la prise d’assaut du grillage lors de buts, est bien réelle. C’est bien évidemment lors des déplacements où nous la mesurons : nous sommes de plus en plus attendus au tournant. Quelques exemples méritent d’être évoqués dans un joyeux désordre chronologique. Déplacement à Strasbourg : Les ultras nonante (qui, à l’époque, se croyaient encore en quarante) déploient une banderole « bienvenue à la section Grassouille – les casimirs de la D1 ». Trois semaines après, nous sortons une écharpe « anti-strasbourgeois » avec en son centre un casimir hilare, sodomisant une cigogne. Déferlante orange à la Meinau Je passe sur les affrontements à chaque derby de l’est à la Meinau, toujours plaisants, notamment lorsque nous sommes tombés nez à nez en coursive avec une joyeuse bande de hools du KSC, majoritairement affublés de moustaches pendantes, lesquels resterons dans l’histoire comme « les gitans de Karlsruhe », titre d’une banderole géante déployée au match retour. C’était l’époque des meinau boys/elsass korps, néonazis notoires qui tendaient le bras dans une indifférence difficile à imaginer aujourd’hui, et que nous étions seuls à rompre en les traitant allègrement et en restant présents au contact… Public, police, club, ou ultras nonante, le peuple strasbourgeois s’en accommodait apparemment. Une autre époque. Metz Strasbourg 94.95 Quelques années après la disparition du groupe, un tifo des UB nonante, visiblement nostalgiques, lors d’un derby, reprendra d’ailleurs le casimir… Déplacement à Lille : Nous sommes moins de quarante, et sommes placés en virage à l’opposé de leur kop. A l’époque, les DVE (Dog Virage Est) étaient adeptes du hooliganisme et de la croix celtique, alors on les traite allègrement. Petite aparté : nous traitions tout le monde, pas seulement les skins hein, les joueurs adverses, nos joueurs, les supporters adverses, tout le monde en prenait pour son grade. Lille – Metz 1993-94 Nous savions qu’ils étaient nombreux, affutés à la fight et plus âgés que nous. Toute personne sensée aurait évité de les provoquer. Du coup, ils viennent au contact, entre 100 et 150 dans mon souvenir, nous sommes uniquement séparés par un grillage. Trois policiers se cachent en haut de notre parcage en nous prédisant le pire. Ils tentent de passer la grille pour prendre la bâche, on les repousse, puis on les gaze. Nous passons le reste du match à nous prendre des pierres et autres objets sur la face. Ils chargeront le bus à la fin, sans véritable dommage. Alors, certes on avait fait les malins, mais nous avions tenu. Attention, hein, quel que soient leurs opinions affichées, quel que soit leur nombre, tous les fans adverses avaient droit aux quolibets et provocations, mais, nous restions présents pour assumer. Déplacement à Auxerre : Fin d’un match pourri (comme souvent) Roya, traverse tout le terrain pour décrocher la bâche adverse, et retraverse vers le parcage sous nos acclamations. Auxerre – Metz 1994-95 L’année suivante, nous amenons une poule dans le bus et les policiers échaudés, lui refuse l’entrée au stade : scandale…. Il faut dire que nous avions mis le feu au centre-ville…. Déplacement à Sochaux : Nous arrivons devant la Tribune des sochaliens qui nous attendent avec des battes de base ball, donc on les enfonce après un magnifique « bon les gars, à 3 on charge, 1, 2, 3 ! » du Mad. Sochaux-Metz 1994-95 Je crois que c’est l’année d’après qu’aura lieu l’épisode de « la horde sauvage » à l’occasion duquel nous avons tout simplement détruit notre parcage (baraque à frites, chiottes défoncées, tuiles jetées sur le terrain, porte bélier pour défoncer les grillage, tôle de la tribune arrachées sur plusieurs mètres, etc…) car nous ne voyions pas le terrain, que nous avions été fouillés trois fois et insultés par les forces de l’ordre, et que l’équipe perdait. Cités dans la presse locale et dans le répugnant nous avions répondu en bâchant un ironique et joyeux « merci pour la pub…. ». « La horde sauvage » Metz – Cannes : Banderole « Merci pour la pub » suite aux articles sur la horde sauvage… Bordeaux : A l’aller, certains de la SG sympathisent avec les ultras bordelais avec lesquels il n’existe aucun contentieux. Mais nous perdons ce match, alors fidèle à un délire dénommé « contribution à la défaite », et sous l’impulsion de Svet, ça charge après le match, sans véritable raison valable. Nous devions donc y aller au retour, ce que nous avons fait, pour nous en prendre un bon 4-0 des familles. Montpellier : Sous l’impulsion du dit Svet, captation de la bâche historique de la butte paillade sans véritable adversité et sans aucun contentieux. Elle sera d’ailleurs rendue. Montpellier – Metz 1994-95 Metz- Montpellier 1994-95 Metz- Montpellier 1994-95 Marseille : Charge des punks de Metz, pas nombreux mais féroces, sur l’esplanade l’après-midi, les incidents se poursuivent jusqu’au stade. Un joyeux bordel. Toulouse – Metz 1993-94 Metz – Marseille 1993-1994 Nantes : Déplacement où chacun ramène un instrument de musique, la section BRN du Luxembourg qui nous accompagnait n’a pas supporté ce flot discontinu de sons criards pendant des heures et n’a jamais reparu (notons le bus dégradé par nos soins au retour pour « contribution à la défaite » sur le terrain). Nancy – Mulhouse : match de D2 où on débarque à 30 pendant la rencontre dans le parcage des ultras boys, surtout pour traiter ceux d’en face, ce que l’on fait copieusement. On tourne après le match, mais ne trouvons personne : à cette époque, ils préfèrent toujours nous éviter. Dépités, nous retournons dans l’enceinte du stade où l’un d’entre nous sait où se trouve leur local, lequel sera fracturé et vidé de fond en comble, la bâche ultra bien sûr, et tout leur matériel. Des voiles géants seront réutilisés pour un de nos tifo et la bâche détruite dans le bloc au match suivant. La bâche nancéienne, quelques minutes avant son incinération lors de Metz – Monaco 1993-94 Lors des derbys, il n’y avait aucune discussion, à picot ou Saint Symphorien, on les explosait. A l’époque, y avait pas internet, ni Photoshop, ni les réseaux sociaux, alors on faisait des montages de carte postale : A domicile, la « schizophrénia » orange est en ébullition continue. Par exemple, contre Lille des incidents éclatent notamment en fin de match, comme souvent, et je vois sortir d’un car de police un de nos casimir (les propriétaires du dit car ayant accompli leur mission de service public avec conviction et élégance envers le second), l’œil explosé, la tronche en sang, et qui hurle les deux poings levés : « je suis un taureau ! ». Attention, hein, nous n’étions pas de taille à rivaliser avec tous les groupes en matière de violence, (peut être plus vers la fin, mais bon), mais nous n’en avions rien à battre. Nous ne venions pas au stade pour cela. La SG et l’humanitaire Nous étions ultras et pas hooligans. Mais tant à l’extérieur, qu’à domicile, les excités venaient en découdre avec la SG. Soit, tu te caches, soit, tu fais face, quitte à risquer de te prendre des torgnoles. Tu assumes, et tu chantes, bordel ! Nous pourrions continuer les anecdotes pendant des heures. Mais une chronique n’est pas un livre, alors synthétisons un tant soit peu… Toulouse… Pour nous, ça faisait « ultra » d’être jumelés. Mais comme nous traitions tout le monde, que faire ? En 1993, nous descendons à Toulouse avec Bart (TFC vs vinasse et pisse) afin de passer le match avec les Ultras Occitans, car je corresponds avec Didier, leur fondateur. C’est l’unique lien entre les deux blocs, hein. Le courant passait déjà épistolairement, mais à cette occasion le Kaos rencontre la BFS (même si elle n’existait pas en tant que tel à l’époque). Nous avions en commun des troupes sommes toutes limitées, des déjantés, une belle joie de vivre alimentée comme il se doit par diverses substances, et surtout… ils se prenaient autant au sérieux que nous. Le dessinateur de leur fanzine était vraiment doué et y on retrouvait un même esprit confirmé par leur accueil chaleureux et le bordel (dans le sens pas organisé) ressenti en tribune. Bref, le jumelage, a priori plus qu’improbable, est parti de là. La suite de notre aventure commune, laquelle dure bon an mal an depuis plus de 25 ans, et au-delà des groupes, a confirmé ce qu’a écrit Arthur Conan Doyle (Le signe des Quatre) : “Lorsque vous avez éliminé l’impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité.” Autre délire (le groupe fonctionnait uniquement à ce carburant, lui-même distillé avec la gamme le plus étendue de psychotropes liquides, chimiques, légaux ou non qui soit), inspiré des travées italiennes et argentines, les sections de la SG. La première sera la section Chauve-souris (Illange), puis la Kaos (fondateurs), la Canner, l’Austrasie firm, et même une improbable Pons Savaris, etc. Deux tifos célèbreront ces nombreuses sections, pour un groupe dont le noyau dur ne dépasse pas 60 personnes….. La section « Pons Savaris » de la SG Il est impossible de ne pas évoquer « Génération perdue », le fanzine concocté par les frangins Laurent et Christophe (la section Canner donc), visuellement de très haut niveau, où Isham se lance dans l’écriture avec ses maux, sa rage mais aussi sa joie enivrante, toujours vivaces aujourd’hui. Ce fanzine, réputé au niveau national, fera beaucoup pour l’image du groupe à l’extérieur mais aussi et surtout pour la cohésion du groupe. Metz – Lyon 1993-1994 Il faut comprendre que chaque membre du noyau dur, avait un ou plusieurs rôles, pour lequel il se donnait pleinement. Ce qu’il apportait aux autres le construisait, et les alimentait, afin qu’il le lui rende. Les plus discrets n’étaient pas les moins utiles à cette dynamique du kaos. Nous étions tous le maître et l’élève. Nous n’étions dépendants que de ceux de notre famille orange. La famille Graoully était plus importante que l’équipe, plus importante que le club. Le football, sport devenu business futile, est un prétexte, ce que nous avions construit ensemble était bien plus important. La SG a fait de nous des adultes responsables (si, si), et des citoyens du monde. Nos règles n’ont pourtant jamais été celles que la masse suivait. Saint-Etienne – Metz 1993-94 Caen – Metz 1994-95 Mulhouse – Metz 1994-95 (CDF) « Les fous ouvrent des voies qu’empruntent ensuite les sages » (Carlo Dossi). En tribune, les tensions vont très vite revenir. Le kop pensait peut être retrouver une ambiance vocale correcte avec notre retour, mais ne s’attendait pas à ce que le groupe grandisse ainsi en nombre, en qualité, et en influence sur la tribune. Metz – Auxerre 1994-95 Metz – Lyon 1994-95 Pour les fans adverses, venir à Metz c’est aussi se frotter à la SG. Le kop se rend compte qu’il est en train de perdre sa tribune. 1995, la Section Graoully s’apprête à retourner définitivement en secondes. Le paroxysme est atteint lors d’un match contre Nantes où la section Ticino des Vikings Juve vient nous rendre visite – Provocations du kop, mais nous répondons violemment – La guerre ouverte devenant soûlante nous décidons de réintégrer la tribune seconde. La section Ticino des Vikings Juve lors de Metz – Nantes 1994-95 Ce choix stratégique, de prime abord mal accepté par une partie du groupe qui veut encore en découdre va, paradoxalement mais définitivement, sceller notre victoire, car le kop ne s’en relèvera pas. A noter d’ailleurs que les visuels « carte postale » du Kop n’utilisent que des images des tifos SG. Visuel très « SG » du Kop of Metz Autre visuel très « SG » du Kop of Metz La comète orange poursuit sa course, elle va briller encore plus, mais ce faisant, elle se consume…. …avant l’explosion finale, éblouissante, laquelle selon la théorie du « chaos », va engendrer une réaction en chaîne, dont les effets se font encore ressentir, près de 30 ans après. Encore quelques montages de l’époque, puisque vous semblez aimer cela : Gérald : J’aimerais terminer cet épisode et ces merveilleuses anecdotes / photos que tu nous as partagées mon cher Raf, par un souvenir… sorte de teaser pour l’épisode 4 (et crois moi j’en aurai bien d’autres car nous rentrerons dans l’ère post-apocalyptique 1995-97, celle où j’ai véritablement été adopté par la famille orange). Dans ce souvenir, et tant pis si certains n’y adhéreront pas, nous sommes en secondes, un soir de match contre je ne saurai te dire qui. Nous tapons fou-rires sur fou-rires et chantons des tubes des années 90, lorsque soudain… dans un état second, et dans un nuage de psychotropes tu lances un puissant et tonitruant « Allaaaaaaaaaaaaaah aaaaakbar !!!!! », digne des plus grands muezzins. A cette époque, il n’y avait pas de connotation, pas de sous-entendu, juste un délire repris en chœur par toute la section. Juste pour le fun. Une autre époque… Merci à Lutin pour les photos. To be continued…