Jessica Silva : « Le FC Metz est un club d’avenir »

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Arrivée sur les rives de Moselle il y a maintenant deux ans, Jessica Silva nous a accordé une longue interview dans laquelle elle aborde son coaching, son amour pour Metz et porte un regard lucide sur le football féminin. Entretien.

En 2018, vous avez rejoint la France en devenant la première coach québécoise à entraîner une équipe française, avec le recul, vous sentez-vous épanouie ici ?
J’ai pris la décision de venir en France pour me mettre hors de ma zone de confort et de me mettre différents défis que je ne peux pas avoir au Canada, donc oui je suis très heureuse de l’avoir fait. C’est ma troisième saison de football en France, j’ai beaucoup grandi et je suis bien ici.

En tant que coach, quand vous regardez un match de football à la TV, avez-vous un regard différent sur la rencontre ou vous arrivez à l’apprécier de façon neutre ?
Je suis dans l’analyse depuis presque dix années maintenant, c’est vrai que je ne regarde plus le football comme je le regardais avant, en tant que spectatrice. Aujourd’hui j’essaie de comprendre les choix de l’entraîneur, ce qu’il veut pour son équipe et forcément on se retrouve moins dans l’émotion.

Est-ce qu’il y a des entraîneurs qui vous inspirent en ce moment ?
Il y a plein d’entraîneurs qui font du bon travail dans le monde et je suis quelqu’un qui aime lire, j’aime m’informer sur les différents styles de management pour ensuite analyser comment cela fonctionne. Au football, il n’y a pas de vérité et je pense qu’il faut être soi-même lorsqu’on a un groupe en face de nous.

Qu’est-ce qui différencie aujourd’hui le football européen du football nord-américain ? Morgane Belkhiter nous disait que vous apportiez une touche athlétique à l’équipe.
Oui je pense qu’en Amérique du Nord on se base plus sur la force athlétique et sur l’état d’esprit. En Europe, la tactique et la technique sont mieux élaborées, vous avez des joueuses qui sont plus à l’aise avec le ballon alors qu’en Amérique du Nord, les joueuses sont plus persévérantes par moments dans la difficulté et notamment sur l’aspect athlétique. Moi mon ambition c’était de venir ici pour justement mélanger les deux car j’aime le football, le ballon et les joueuses techniques.

On vous a vu tester plusieurs schémas tactiques depuis le début de saison avec le FC Metz, c’était une volonté de votre part ou c’est dû principalement au profil des joueuses ?
Je travaille beaucoup avec des principes de jeu et après selon les joueuses à ma disposition et de ce que l’on souhaite faire dans le match, je vais peut-être changer notre animation mais en général les principes ne changent jamais.

C’est un avantage de pouvoir gérer plusieurs systèmes de jeu ?

L’avantage c’est que si l’équipe maîtrise plusieurs systèmes, cela te donne beaucoup d’outils selon l’adversaire. En revanche, tu n’es jamais dans une zone de confort et tu dois continuellement être dans l’adaptation, et il faut des joueuses avec une certaine intelligence.

Quand vous préparez un match, on suppose que vous préférez imposer votre style de jeu plutôt que de vous adapter à celui de l’adversaire ?
A 100%, nos matchs sont préparés pour que l’on puisse faire ce qu’on veut en sachant qu’on doit tenir compte de l’adversaire mais on veut surtout imposer notre façon de jouer, nos capacités et nos qualités.

Comment vous qualifieriez votre style de jeu justement ?
J’aime entraîner des équipes qui aiment jouer, faire vivre le ballon et qui aiment se créer des opportunités offensives. J’aime aussi avoir une équipe structurée et organisée : quand une personne fait quelque chose, l’autre sait quoi faire. La structuration défensive est aussi quelque chose de très important pour moi et quand mon équipe perd le ballon, son but c’est d’aller le récupérer le plus rapidement possible.

Durant l’intersaison l’effectif du FC Metz a beaucoup changé, en tant que coach, comment on fait pour créer des automatismes entre les joueuses de manière assez rapide ?
Ce genre de choses prend du temps et il faut beaucoup d’entraînements pour apprendre à se connaître. En dehors du terrain, on travaille beaucoup et on a fait en sorte, lors de la préparation d’avant-saison, que les joueuses apprennent à mieux se connaître.

On sait que parfois des binômes peuvent se créer selon les affinités sur le terrain, est-ce que vous essayez de faire en sorte que les joueuses s’entendent par deux ?
Oui, à l’entraînement on fait en sorte que les joueuses travaillent avec le même binôme que les jours de match, on souhaite qu’elles créent des automatismes ensemble, qu’elle se comprennent, qu’elles discutent pour trouver des combinaisons qui feront ressortir les qualités de l’une et l’autre.

Est-ce qu’il y a une ou plusieurs joueuses qui sortent du lot cette saison ?
On a mis en place un système d’équipe où tout le monde est important. On est une équipe jeune avec beaucoup de nouveaux éléments et avec seulement cinq matchs de championnat c’est difficile de faire une évaluation. Aujourd’hui je laisse les matchs parler pour eux-mêmes et si on reprend le championnat, on verra comment les filles vont évoluer.

En D2 Féminine, les cinq premières équipes se tiennent en 5 points, est-ce que l’objectif du club c’est toujours la montée ?
Notre objectif c’est de figurer le plus haut au classement comme n’importe quelle équipe, après on prend match par match, on est des compétitrices et on souhaite gagner.

Est-ce que vous pensez que le championnat va reprendre ?
Ce n’est pas moi qui décide, on a des échos positifs comme on a des échos négatifs donc aujourd’hui on prie pour que le championnat reprenne parce que c’est notre métier, c’est ce qu’on aime faire et c’est notre raison d’être. En tout cas, on se tient prêtes à l’entraînement.

Comment fonctionne le binôme Jessica Silva / Michael Maurice ?
Michael, il a une double casquette : il me soutient en équipe première en tant qu’adjoint et il est aussi en charge du développement de la formation de notre section féminine.

Hélène Fercocq nous disait qu’il avait un peu le rôle de papa dans le vestiaire…
Oui c’est un peu un papa pour les filles, il est bienveillant et il soutient les joueuses quand elles en ont besoin.

En Amérique les femmes font leur place dans le monde du sport masculin mais pas parce que ce sont des femmes, tout simplement parce qu’elles sont compétentes et qu’elles en ont sont capables.

Le football féminin peine à éclore médiatiquement en France, selon-vous qu’est-ce qui manque pour qu’il soit de plus en plus visible ?
J’ai déjà eu un rôle dans le développement du football féminin et c’est un rôle très difficile à mener, surtout de nos jours avec la crise sanitaire qui impacte gravement les budgets des clubs. Donc c’est pendant ces moments de faiblesse qu’il faut prendre les décisions nécessaires pour assurer la continuité de ce que la France a débuté. La médiatisation est présente grâce à la télévision, même dans la communication dans chacun des clubs qui mettent en avant leur section féminine pour justement créer un engouement pour les joueuses, les sponsors et tous ceux qui sont derrière le modèle économique et qui pourraient aider la croissance de la section féminine.

Que ce soit dans le football ou d’autres disciplines, la médiatisation du sport féminin en général est assez limitée. Vous, en tant qu’actrice principale, vous devez être déçue de cet état de fait ?
Il y a beaucoup de Ligues de football qui mettent en avant le football féminin (La Ligue Anglaise et Nord-Américaine notamment), ils sont très forts en communication donc justement les meilleures joueuses se projettent dans cette direction et les budgets y sont différents, plus conséquents. J’espère et je crois vraiment que le football français peut tirer un avantage d’avoir une perspective globale.

Il n’est pas rare de voir un homme entraîner une équipe féminine mais l’inverse est beaucoup plus rare. Est-ce que, selon-vous, il faudrait plus de mixité dans le coaching ?
Il faut tout simplement plus de compétences, ce n’est pas une question de sexe ni de poste, aujourd’hui la personne doit être compétente ! Je crois qu’il y a des femmes très compétentes mais culturellement et humainement il faut que les gens soit prêts à voir une différente perspective. En Amérique les femmes font leur place dans le monde du sport masculin mais pas parce que ce sont des femmes, tout simplement parce qu’elles sont compétentes et qu’elles en ont sont capables.

Quels sont vos passions en dehors du football ?
Je suis quelqu’un qui aime sa famille et qui aime l’extérieur, les balades, les randonnées, j’aime aussi beaucoup le sport, je regarde énormément le football.

Vous préférez l’hiver québécois ou mosellan ?
Il fait plus froid en France qu’au Canada (rires), votre froid est vachement diffèrent du notre mais l’avantage au Canada c’est qu’on a des terrains indoor qui sont chauffés parce qu’il fait -20 ou -30 degrés. Mais on s’entraîne à Metz avec le sourire malgré les conditions climatiques.

Metz ou Montréal ?
Metz pour le football !

Vous préférez prendre les 3 points en faisant une mauvaise prestation ou alors faire un nul ou une défaite en jouant bien ?
Je préfère gagner en jouant bien (rires), les matchs qu’on a gagnés mais où on était moins bien dans le jeu, il faut savoir les prendre et en tirer des leçons. Les matchs qu’on perd en jouant bien, il faut savoir rester confiant mais comme je vous ai dit, la meilleure chose au monde c’est de gagner en ayant bien joué, on ne peut pas le nier car ça nous donne un sentiment de satisfaction qu’on ne peut pas trouver ailleurs.

Est-ce que l’avenir de Jessica Silva est à Metz ?
Aujourd’hui mon cœur est à Metz, je crois vraiment en notre club et le FC Metz a vraiment tout pour réussir au plus haut niveau mais c’est juste une question de choix et de priorités. Aujourd’hui la ville de Metz tout comme le FC Metz, ce sont ma maison, je m’y sens bien et je suis heureuse d’être ici, c’est un club d’avenir avec un fort potentiel économique et sportivement parlant, j’y crois à fond !

Propos recueillis par Arthur Carmier et retranscrits par Julien Buret.
Crédit Photo : Julien Buret

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